Master class Jean-Paul Colleyn – Samed 8 novembre • 10h

Colleyn_2Rencontre avec Jean-Paul Colleyn, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, cinéaste et anthropologue, animée par Jean Jamin, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.

EHESS – École des hautes études en sciences sociales Auditorium – 105, Boulevard Raspail, 75006 Paris

Colleyn_3L’anthropologie visuelle recouvre un éventail d’activités parfois définies par leurs méthodes – la photographie, la cinématographie –, parfois par leur objet l’art, les médias, les décorations corporelles, les aspects visuels de la culture. Je pense qu’il est important de défendre un domaine dans lequel les gens peuvent communiquer étroitement parce qu’ils partagent une culture visuelle : ils ont des références cinématographiques et bibliographiques communes, ils ont réfléchi à la fabrique et à la circulation des images, ils savent les problèmes éthiques qu’elles posent, etc. Mais le fait d’avoir un diplôme et d’appartenir au monde universitaire ne donne aucun privilège particulier. Lorsqu’il tourne un film, un ethnographe s’inscrit dans le champ du cinéma documentaire et, souvent, des documentaristes réalisent des films qui intéressent et impressionnent les anthropologues. Cette collégialité, toutefois, ne va pas de soi, car de nombreux cinéastes estiment que les chercheurs ne savent pas faire des films et de nombreux chercheurs n’aiment pas beaucoup les images. Lorsqu’ils visionnent un film, les anthropologues “non visuels” expriment presque toujours leur frustration parce que le film ne traite pas en priorité de leur centre d’intérêt principal ou parce que des informations importantes demeurent “hors champ”. Curieusement, on reproche plus facilement à un film qu’à un livre d’être sélectif, alors qu’il est infiniment moins difficile d’approcher l’exhaustivité par l’écrit que par le film. Jusqu’à il y a une trentaine d’années, on reprochait aussi au film de montrer des cas particuliers et d’être à la peine pour extrapoler, voire pour généraliser. C’est en fait une critique qui s’est plutôt retournée contre les procédés rhétoriques qui permettent de généraliser un peu trop facilement. On sait que bien des monographies ont dressé d’une “société” – le mot lui-même ne va pas de soi – une portrait trop lisse, trop systématique et trop homogène. Comme Fabrice à Waterloo, l’anthropologue fait ce qu’il peut, au cœur de la mêlée, pour essayer de comprendre ce qui se passe. J’aimerais, en fait défendre ce que l’on appelait péjorativement un biais, car l’observation est nécessairement subjective et créatrice. On peut reprocher à un cinéaste de ne pas faire de bons choix, mais on ne peut exiger de lui qu’il ne fasse aucun choix. C’est grâce à la qualité de son regard que le cinéaste peut faire accéder son public à certaines informations et certaines émotions. C’est grâce à la qualité des relations qu’il noue sur terrain qu’il peut, dans une certaine mesure, faire partager son expérience. Avec la contestation actuelle de catégories trop facilement englobantes, comme société, système social, culture, communauté, la saisie des interactions au plus près des personnes que permet la caméra se voit aujourd’hui réhabilitée. La notion de “données ethnographiques” doit être entièrement revue, car ces fameuses données sont en réalité produites et comme les sources des historiens, elles doivent être critiquées. Ces données, par qui et comment sont-elles données. Il faut étudier l’ensemble des conditions de leur production. Aujourd’hui, l’art et la science devraient moins s’opposer que par le passé et je suis prêt à défendre l’anthropologie comme art, sans pour autant saper le caractère scientifique de la démarche. L’art et la science ne s’opposent pas car chercheurs et artistes visent tous à comprendre et à rendre intelligible un phénomène. En ce sens, dans le domaine de l’anthropologie, l’opposition entre les “conservateurs” – ceux qui veulent sauver quelque chose d’un patrimoine menacé – et ceux qui se déclarent partisans d’une approche “dynamique”, axée sur le mouvement et les aspects les plus contemporains de la culture, est paradoxale. Si comme le veulent les conservateurs, les cultures ne changeaient pas, il n’y aurait guère de raison de les conserver, car elles se perpétueraient d’elles-mêmes. Les conservateurs doivent en fait leur activité au changement qu’ils font profession de réprouver. En revanche si, comme le disait Montaigne, “le monde n’est qu’un branle éternel et que toutes choses branlent sans cesse”, il importe de rendre intelligible et sensible chaque saisie que l’on fait de ce monde et c’est la beauté de la chose. Jean-Paul Colleyn

Biographies
Jean Jamin est ethnologue et anthropologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris) où il enseigne la méthodologie, l’épistémologie et l’histoire de l’anthropologie sociale et culturelle. Depuis la fin des années 1990, il s’est spécialisé dans l’anthropologie de la littérature et de la musique, notamment du jazz. 
 

Colleyn_1Jean-Paul Colleyn est anthropologue, cinéaste et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il a été le directeur de la division audiovisuelle de l’EHESS (2006-2010) et du Centre d’études africaines de 2010 à 2014. Il dirige actuellement un groupement de recherche du CNRS intitulé “Image et anthropologie”. Il a également enseigné trois ans à l’université de New York. En tant qu’anthropologue, il a effectué trente-cinq enquêtes de terrain au Mali, et d’autres en Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée, Guinée-Bissau, Ghana, et au Nigeria. Auteur d’une trentaine de films documentaires, de quatorze livres et de très nombreux articles consacrés à l’anthropologie, au cinéma documentaire, à la photographie et à l’art.

♦ Livres
Les chemins de Nya ; Eléments d’anthropologie sociale et culturelle ; Le regard documentaire ; Bamana (visions d’Afrique) ; L’anthropologie, avec Marc Augé (collection : Que sais-je) ; Les chevaux de la satire.
♦ Films et audiovisuels
Direction de la collection : Les Arts du mythe 2009-2010
Boli du Mali ; Vierge ouvrante de Prusse ; Manteau de chamane Evenk ; Xipe Totec du Mexique ; Peinture Pintupi d’Australie ; Ta No Kami du Japon ; Rouleau magique éthiopien. Les Masques, La divination, La mort, L’initiation 2006
(Quatre programmes multimédias)
Mali kow. La voie malienne 2005
La Baraka des marchands mourides 1997
La Nuit des indiens Pumé 1993
Le Voyage des âmes 1992
Naître Bijago 1992
Forward ever, backward never 1992
Vivre avec les dieux. 3, Les esprits dans la ville 1991
Vivre avec les dieux. 2, Les dieux-objets 1989
Vivre avec les dieux. 1, Prophètes en leur pays 1988
Chronique d’une saison sèche. IV, Possession 1988
Chronique d’une saison sèche. III, Jours de fête 1988
Chronique d’une saison sèche. I, Le Tyi-wara 1987
Chronique d’une saison sèche. II, La qualité de la mort 1987
N’kpiti, la rancune et le prophète 1984
Les Chemins de Nya 1983
Sogow, masques bambara 1982

 

« Un bon film anthropologique propose une manière de voir ; il se donne comme un objet “bon à penser”… »  Jean-Paul Colleyn