D’où vient cet air lointain ?
Yannick Bellon découvre le cinéma très jeune, avec une mère photographe proche des surréalistes, amie d’André Breton, et un autre passionné d’images, son oncle Jacques Brunius, poète, dessinateur, critique, réalisateur de documentaires, assistant de Buñuel, de Renoir. Dans l’appartement du quai de l’Horloge, on s’intéressait beaucoup à la politique, on allait manifester contre les inquiétantes montées fascistes qui surgissaient en Europe. Puis, la guerre…Yannick se sent à la dérive, sans but très défini, sans ancrage…et, un jour, par hasard, son chemin croise le séduisant jeune homme qui allait devenir son premier amour : Jean Rouch. Yannick et Jean étaient loin d’imaginer alors qu’un jour ils deviendraient tous les deux cinéastes et que leurs vies se construiraient, non pas ensemble, mais autour d’une passion commune : le cinéma.
Les premiers pas de Yannick dans le cinéma sont à Nice au Centre Artistique et Technique des Jeunes du Cinéma que sa mère lui avait signalé. C’était l’ancêtre de l’IDHEC où Yannick a fait un bref passage, un peu plus tard, dans la même promotion qu’Alain Resnais et André Heinrich. Elle a la chance de travailler avec Myriam Borsoutsky, une grande monteuse qui la prend comme assistante sur Paris 1900 (Nicole Védrès) et lui fait l’amitié de monter Goémons, son premier court-métrage. En 1948, le film obtient le Grand Prix du Documentaire au Festival de Venise. C’est la consécration. Toutes les portes sont ouvertes. Jean Rouch et Henri Langlois sont admiratifs. Le montage a toujours intéressé Yannick. Probablement à travers le travail expérimental mené par Jacques Brunius et pendant des années, elle a alterné montages et réalisations, dans des domaines très variés, pour la télévision et pour le cinéma.
Les documentaires l’ont emmenée parfois très loin. À Los Angeles, une « non-ville », comme la définissait Michel Butor qui l’accompagnait pour ce film de télévision. Au Brésil, après la rencontre de Pierre Verger, célèbre ethnographe, qui lui proposa de réaliser un documentaire sur l’esclavage. À Venise, pour un film qui ne vantera pas une fois de plus la beauté de cette ville mais qui poussera un cri d’alarme sur les graves problèmes d’enfoncement qui la menacent. Quelques années plus tôt, alors que Yannick venait de terminer Colette, une rencontre a changé le cours de sa vie. Henry Magnan était journaliste au Monde, à Combat, au Canard enchaîné. Ils se sont mariés et débuta alors leur étroite collaboration sur plusieurs films, sans parler des projets non réalisés. Varsovie quand même texte bouleversant d’Henry Magnan sur la destruction de cette ville, est un poème tragique, un cri vibrant qui s’élève des ruines, que portera à l’écran Yannick. À cette époque, elle était proche du parti communiste, de ceux que l’on nommait alors les sympathisants. Et c’est dans ce cadre, suite à une proposition du cinéaste Joris Ivens, pour le film de cinq sketchs La rose des vents, qu’elle réalisera Un matin comme les autres, à partir d’un scénario de son époux, et dont les interprètes principaux étaient Simone Signoret, Yves Montand et Loleh Bellon, la sœur de Yannick. Le film fut d’abord censuré à l’exportation sous prétexte qu’il présentait une image défavorable de la France à l’étranger, et par la suite, la distribution fut stoppée pour des raisons politiques.
Tout en continuant le montage et la réalisation des courts métrages, dans les années 1960, Yannick travaille beaucoup pour la télévision, notamment au coté de Michel Polac qui dirigeait une émission littéraire mensuelle, Bibliothèque de poche. Mais un jour de 1965, Henry Magnan a décidé, à quarante quatre ans, d’en finir. Jusqu’alors, le long-métrage n’avait pas encore attiré Yannick. Mais peu à peu, l’idée s’est imposée à elle, comme une nécessité pour parler d’Henry…, et bien au-delà de lui, de la difficulté à vivre…, de la solitude. Quelque part quelqu’un sera son premier long-métrage de fiction qui sortira en 1972. Pour autant elle n’abandonne pas le documentaire, en 2001, elle coréalise avec Chris Marker Le Souvenir d’un avenir, consacré au travail photographique de sa mère Denise Bellon. Et tout dernièrement avec un film très personnel, D’où vient cet air lointain ? Réaliser un film à la première personne, parler de soi, n’est pas une entreprise facile, mais Yannick a, cependant, voulu tenter l’expérience et revivre son parcours passionné, associé parfois aux combats de l’époque mais aussi à des combats individuels pour acquérir une liberté de penser et d’agir. Son travail a été souvent jalonné d’obstacles et de difficultés, mais elle a réalisé les films qui lui tenaient à cœur. Comme elle a pu le dire et l’écrire lors de la réalisation du film : « J’espère que cet air lointain parviendra jusqu’à vous. »
Eric Le Roy