La scénographie du film documentaire interactif
Eleonora Seligman1
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Résumé
Au cours de ces trente dernières années, les faits qui intéressent l’urbaniste ont
été repris ou investit par plusieurs disciplines de recherche, quel qu’en soit le
langage.
Par ailleurs, il convient également de prendre en compte un autre aspect : la
mondialisation nous oblige à étudier et à construire un dispositif d’information et
de communication commun aux équipes interdisciplinaires et même aux
chercheurs indépendants qui travaillent sur le même sujet.
Ce dispositif utilisé dans la recherche-action sert à montrer le simulacre du lieu,
dans les diverses concertations.
Ajoutons que l’urbanisme de concertation mis en œuvre par des équipes
interdisciplinaires, la population et l’administration, permet de modifier le mode
d’organisation traditionnel, en employant des dispositifs d’information et de
communication du type que nous allons décrire ci-dessous.
Quels éléments une équipe interdisciplinaire s’intéressant aux faits urbains
doit-elle filmer et analyser ? Comment construire une mise en scène ouverte et
interactive dans le but de communiquer des informations au public participant à
une concertation ?
PRESENTATION DU CHAMP DE LA RECHERCHE
Au cours de ces trente dernières années, les faits qui intéressent l’urbaniste ont
été repris ou investit par plusieurs disciplines de recherche, quel qu’en soit le
langage.
Par ailleurs, il convient également de prendre en compte un autre aspect : la
mondialisation nous oblige à étudier et à construire un dispositif d’information et
de communication commun aux équipes interdisciplinaires et même aux
chercheurs indépendants qui travaillent sur le même sujet.
Ce dispositif utilisé dans la recherche-action sert à montrer le simulacre du lieu,
dans les diverses concertations.
Ajoutons que l’urbanisme de concertation mis en œuvre par des équipes
interdisciplinaires, la population et l’administration, permet de modifier le mode
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d’organisation traditionnel, en employant des dispositifs d’information et de
communication du type que nous allons décrire ci-dessous.
Quels éléments une équipe interdisciplinaire s’intéressant aux faits urbains
doit-elle filmer et analyser ? Comment construire une mise en scène ouverte et
interactive dans le but de communiquer des informations au public participant à
une concertation ?
Notre groupe de recherche interdisciplinaire travaille sur un thème : l’urbanisme
et les faits urbains. Ce thème (le territoire physique, le champ culturel, le
contexte, les divers agents, les faits) intéresse différents domaines de
recherches. Notre équipe est ainsi constituée de plusieurs chercheurs :
anthropologues, sociologues, architectes urbanistes, paysagistes, designers,
assistant social, ergonomiste, informaticiens, web designer ainsi que moi-
même, la coordinatrice de l’équipe – architecte paysagiste et réalisatrice.
Les expériences qui ont mené à la conception d’un CD-Rom d’Urbanisme ont
bénéficié du soutien de la FAPESP (Fundação de Amparo dà Pesquisa do
Estado de São Paulo), de l’Université de Rio de Janeiro et d’une petite
entreprise de São Paulo.
Le CD-Rom d’Urbanisme présente deux “Blocs” qui proposent quelques sujets
pouvant être exploités par des équipes interdisciplinaires ayant opté pour la
méthodologie que nous allons maintenant décrire.
On notera que les problèmes d’accès des personnes handicapées à la
chaussée et aux rues autour des places sont présentés dans un troisième
“Bloc” dans le Film Principal.
LE DEFI DE LA CONSTRUCTION DU SIMULACRE DU PAYSAGE
OBSERVE
« Rien n’interdit en principe qu’un métalangage devienne à son tour le
langage-objet d’un nouveau métalangage ; ce serait le cas de la sémiologie,
par exemple, le jour où elle serait « parlée » par une autre science. […] chaque
science nouvelle apparaîtrait alors comme un métalangage nouveau qui
prendrait pour objet le métalangage qui la précède, tout en visant le réel-objet
qui est au fond de ces « descriptions ». « L’histoire même renouvelle les
métalangages » Roland Barthes, « Éléments de sémiologie »,
Communications, n° 4, 1964, p.132.
Dans un premier temps, l’équipe a délimité le territoire de la recherche qui
devait être filmé (dans notre recherche, ce territoire est constitué de deux
places publiques, deux constructions du XVIIIème siècle, situées l’une à côté
de l’autre, dans le quartier de Freguesia do Ó à São Paulo, Brésil).
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Pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, ainsi que pour les
architectes qui se consacrent à ce type de recherche, il est tout d’abord
intéressant d’examiner et d’analyser les éléments filmés, puis ce qui les
détermine.
Il s’est révélé nécessaire, pour créer un langage commun en termes
sémiologiques, d’entreprendre un traitement informatique appliqué à tous les
éléments recueillis, afin de réaliser le dispositif multimédia que nous voulions
proposer.
Ce dispositif est destiné aussi bien aux chercheurs, membres ou non d’un
groupe, qu’au grand public ; en cela résidera peut-être le grand défi de la
recherche de l’anthropologie visuelle appliquée à l’urbanisme d’aujourd’hui.
L’équipe a d’abord traité le territoire de la recherche en soi en termes
sémiologiques, c’est-à-dire en situant l’espace territorial et ses fonctions dans
un système de sens : sur une carte géographique et sur celle du tissu urbain de
la métropole en utilisant plusieurs échelles de dessins, des photos aériennes,
des cartes de la Mairie, etc.
Le corpus de la recherche est constitué par un ensemble de questions
préparées à l’avance par l’équipe, selon certains critères inévitablement
arbitraires.
Pendant cette première étape du travail (les « esquisses » du lieu-simulacre
destinées au « Film Principal »), le réalisateur évite, pendant le tournage, de
s’attacher aux faits urbains les plus saillants (circulation de voitures et activités
des personnes, singularités du paysage, etc.). Il choisit les horaires et les jours
de la semaine qui lui paraissent les plus appropriés pour les tournages. La
méthode de tournage est appelée « méthode des esquisses » (1).
Le réalisateur choisit également, selon la topographie du terrain, le parcours de
la caméra le plus adapté afin de déterminer les positions de caméra, les
meilleurs angles et cadrages, les points de vues permettant à la caméra la
présentation du milieu bâti, les positions de la caméra par rapport au soleil
pendant la journée, etc.
Le réalisateur suit également les déplacements, sur le terrain, de deux
personnages qui participent au film du lieu-simulacre.
LA METHODOLOGIE
Au simulacre du territoire géographique – initialement les contours dessinés sur
une photo aérienne ou sur une carte de la Mairie locale – il a fallu inclure, dans
les enregistrements, des simulacres des faits se déroulant dans les lieux
mêmes : le flux des personnes, les diverses localisations des personnes et des
choses (les bâtiments, le mobilier urbain, les arbres ainsi que d’autres éléments
de la végétation, etc.) ; la localisation dans l’espace des activités, des divers
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loisirs, tout ceci à des horaires différents, pendant toute une journée et tous les
jours de la semaine ; les entretiens, etc.
L’équipe de réalisation a ainsi commencé à enregistrer les premières esquisses
d’un film vidéo – nous appelons cette activité une « mise en scène de la
carcasse du lieu ». Le but de ces esquisses est de caractériser « le territoire de
la recherche ».
La mise en scène privilégie, au début, le scénario urbain constitué par la
« carcasse » et même les éléments inclus dans l’espace : on pense ici aux
voies publiques entourées de bâtiments, éléments architectoniques qui
délimitent les deux places publiques, ou couronne constituée par les bâtiments
qui entourent l’espace des places publiques.
Ces éléments mis en scène dans les premières esquisses formeront le Film
Principal du support multimédia. Le Film Principal deviendra un simulacre du
scénario du lieu urbain – un espace filmé et caractérisé de la façon la plus
anodine possible (c’est-à-dire débarrassé de tout élément superflu, filmé à
l’aide d’un rythme constant de mise en scène qui donne l’apparence de
restituer les valeurs homogènes de l’espace, sans privilégier aucun élément
formant le paysage ; la caméra joue alors le rôle d’une sorte de scanner) –
caractérisant les éléments bâtis, concrets, réels, formateurs de l’espace
territorial de la recherche.
La réalisation a introduit deux personnages, chacun muni d’une caméra – les
« montreurs de l’espace », qui effectuent une promenade discrète dans les
lieux, selon un parcours préétabli par le réalisateur. Ils balisent le parcours
cinématographique et offrent ainsi une appréhension en continuité de l’espace
(monstration suivie).
Le deuxième but de la recherche est de construire des mises en scène
filmiques et/ou multimédiatiques des divers faits urbains (qui font partie du
corpus de la recherche de chacun des membres de l’équipe).
On a pu constater pendant les tournages que les faits sur lesquels nous avons
porté notre attention, s’entrecroisent formellement dans l’espace physique des
deux places publiques, formant parfois une espèce de trame épaisse – rendant
difficile la reconnaissance de leurs configurations et de leurs composantes – en
raison de l’effervescence particulière qui se manifeste, par exemple, lors des
week-ends et des jours de fête : ces faits comprennent les activités des divers
agents qui habitent ou fréquentent les lieux, le flux automobile, le brassage des
différentes classes sociales, les différents âges des personnes, les différentes
activités et leur fréquence se déroulant à des horaires différents (le week-end
et les jours de semaine), l’espace architectonique encombré par divers objets
déposés sur le trottoir des places, les problèmes occasionnés par le mélange
de circulation de voitures et de personnes sur les trottoirs et dans les rues, le
problème du difficile accès des handicapés aux voies publiques ainsi qu’à
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d’autres composants de l’espace architectonique, les “transgressions” dans
l’espace, les problèmes d’ordre social, les loisirs diversifiés dans l’espace, la
pollution visuelle et sonore, les différentes activités de recyclage des boîtes et
d’autres déchets urbains, etc.
Nous avons également constaté qu’il convenait d’effectuer des entretiens
(« caméra de contact ») avec les habitants du quartier. Quelques-uns ont été
réalisés avec des personnes âgées qui y ont toujours résidé. Des recherches
de photos anciennes et une fouille iconographique ont aussi été entreprises par
une des chercheuses.
Pourtant, les divers registres filmés (esquisses), l’iconographie recueillie, les
photos anciennes, forment une sorte de configuration mélangeant les
nombreuses situations d’appropriation de l’espace local par des personnes
d’hier et d’aujourd’hui.
RESULTATS : Le Film Principal et le dispositif interactif
Décrire le paysage et les faits urbains du lieu à travers la cinématographie,
faire des analyses descriptives des faits et des éléments du paysage concret,
dépasser la description objective au moyen des entretiens, sont les buts de
notre recherche. Pour l’entreprendre, il faut d’abord définir le territoire de la
recherche où les faits et les entretiens se produisent :
– en délimitant géographiquement l’extension du territoire (champ territorial,
c’est-à-dire le lieu où les faits surviennent) et en déterminant des stratégies de
mise en scène de la spatialité du scénario concret (échelles, cadrages,
positions, mouvements, parcours et points de vue de la caméra).
– en adoptant plusieurs points de vues descriptifs, les plus appropriés à la
topographie du terrain et au contexte au moment de la mise en scène de
l’espace.
– en montrant l’espace, par des monstrations suivies, séquentielles, qui se
succèdent dans le temps.
– en préparant le découpage, avant de filmer – les raccords du parcours de la
caméra (son regard « objectif » ou « subjectif ») dans l’espace et dans le temps
(scénario technique du film) – de telle sorte que l’appréhension du film réalisé
puisse conduire le spectateur dans l’espace-simulacre, en lui permettant de
pénétrer le domaine visuel, dans toute l’extension et la profondeur du champ
de l’espace, tout en maintenant une perception permanente de la « couronne
bâtie » du lieu filmé.
Conséquence de ce type de mise en scène, le spectateur du film et futur
utilisateur du produit multimédia pourra parcourir et consulter le trajet principal
du lieu-simulacre filmé, comme l’a déjà fait l’équipe interdisciplinaire. Le
spectateur sera ainsi confronté à une sorte de film fonctionnel (une sorte de
technographie) ; durant les interactions avec le dispositif multimédia, il pourra
découvrir les noeuds qui seront signalés dans le film-simulacre, d’où partiront
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les links construits par l’équipe de chercheurs (la diversité des corpus des
recherches déterminera les axes transversaux, ou links, qui se croisent dans le
Film Principal).
Le dispositif interactif présenté ici facilite le travail du chercheur, en lui offrant
un temps de libre examen du Film Principal, pour en faire des commentaires et
des analyses descriptives.
L’utilisateur du dispositif multimédia pourra, dans le trajet-simulacre du terrain
filmé et selon la mise en forme du film dans le dispositif interactif, s’arrêter,
appréhender les objets identifiés le long du cheminement, annoter ces
observations sur l’état des lieux – les traits, les repères du paysage, etc. Ainsi,
au fur et à mesure que l’utilisateur parcourt le Film Principal du trajet-simulacre,
il peut se situer dans l’espace filmé et s’en approprier des parties. S’arrêtant
dans le paysage présenté par le trajet-simulacre, il pourra en outre l’actualiser,
en mettant en forme de nouvelles ou d’anciennes informations concernant le
lieu. Il peut proposer un arrêt sur l’image (frame) comme point de référence
dans les communications qu’il fera aux participants d’une concertation ; il
pourra même dessiner sur cette image et l’envoyer par l’Internet.
Après l’élaboration du prototype du CD-Rom d’Urbanisme, on a constaté
l’importance que pouvaient revêtir certains problèmes de mise en forme (par
exemple, celui de l’expression-représentation du nœud où va s’installer le link
dans le Film Principal). Un nœud dans le film du dispositif multimédia
correspond à un mot souligné dans les hypertextes.
L’utilisateur peut, s’il le désire, s’arrêter sur le nœud pour consulter le link.
J’ai donc créé une représentation du nœud que j’ai appelé mote.
Le mote est une expression-représentation-synthèse qui introduit le link
d’analyse descriptive, ou commentaire, au cours de l’arrêt sur un frame. Il peut
se composer d’une petite phrase liée à une représentation iconique, et
constitue une référence à la monstration immédiatement antérieure au frame
auquel il est attaché. Parfois le link peut renfermer l’analyse d’un élément du
film, attaché à une image unique (frame figé) du Film Principal.
Chaque link du Film Principal du dispositif multimédia interactif peut présenter
une ou plusieurs expression-représentation(s) qui lient des faits et des objets
actuels, au passé et au futur (suggérés par des éléments iconographiques). Le
link peut aussi contenir d’autres éléments : esquisses, dessins, photos, tous
ordonnés de façon telle que la mise en forme de l’ensemble (analyse
descriptive ou commentaire et figures) puisse en fait renvoyer à la monstration
à laquelle le chercheur se rapporte.
L’ensemble des motes signalés sur le Film Principal Interactif du dispositif,
deviendra une sorte de table des matières (analyses descriptives ou
commentaires). Ce sont les axes transversaux des faits examinés par les
différents chercheurs.
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Ces axes (links) peuvent présenter et représenter, de façon nette, des analyses
datées historiquement, des objets, des situations, des faits, etc.
Tout ceci nous entraîne vers les études et les expérimentations des nouvelles
approches de la sémiologie. Il sera encore nécessaire d’étudier les
représentations, les catégories des nœuds et des links, leur nature, dans le
Film Principal Interactif d’un dispositif multimédia. Là, nous nous situons entre
l’art et la science.
Nous proposons dans le CD-Rom d’Urbanisme quelques exemples, pas encore
filmés, mais qui sont représentés par des dessins ou des textes.
Dans l’expérience, un film-link fait partie de l’expérience technologique (le code
du nœud d’ancrage a été trouvé).
Note
1. La notion de paysage que nous avons adopté est celle créée par Tolman
« qui accepte dans le processus perceptif l’intervention de variables comme
l’intuition, l’expérience commune, la physiologie personnelle ». Pour A. Bailly
« le paysage donne une impression de satisfaction ou de malaise ». (p.13 et
40). Bailly, Antoine S., La perception de l’espace urbain, Centre de Recherche
d’Urbanisme, Paris, 1977.
BIBLIOGRAPHIE
(1) Voir les publications FRC Paris X.1988 à 1990. Nanterre.
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Architecte, urbaniste, cineaste
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